UN DOCUMENT NOKIA-BERCY PRESQUE TOTALEMENT EXPURGÉ :
« Outre le fait que nous n’avons reçu le document que le 7 octobre, plus d’un mois après le délai fixé par le tribunal, 90 % de son contenu sont biffés », regrette franchement Olivier Marcé, le délégué syndical central de la CFE-CGC Nokia France. Concrètement, il ne subsiste que quelques lignes faisant référence à l’emploi de manière non quantifiée. Par exemple, au chapitre 12, la phrase suivante : « L’investisseur maintiendra en France l’essentiel de la R&D spécifique aux activités sensibles pour les clients sensibles. »
D’AUTRES DOCUMENTS PLUS OCCULTÉS ? :
Le syndicaliste est d’autant plus surpris par ce flou qu’il a personnellement participé à Bercy à des réunions – la dernière en date avec Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée chargée de l’Industrie – dans lesquelles des engagements en nombre de salariés étaient mentionnés. « Un peu comme s’il y avait un autre document non officiel, non signé, comportant des précisions chiffrées. Comme si tout n’était pas dans les lettres d’engagement… »
LE JUGEMENT DE NOKIA PEUT-IL FAIRE JURISPRUDENCE ? :
Sur le fond, Olivier Marcé considère que Bercy ne pourra plus refuser de but en blanc de communiquer aux syndicats les engagements concernant l’emploi. D’ailleurs, LBBa, le cabinet d’avocats de la CFE-CGC Nokia, a publié sur LinkedIn une analyse du jugement du 7 octobre allant dans ce sens : « Lorsqu’une entreprise prend des engagements portant sur le maintien de l’emploi envers le gouvernement, ni le secret des affaires, ni le secret-défense et les impératifs de sûreté de l’État n’autorisent le gouvernement à refuser de communiquer aux représentants du personnel de l’entreprise concernée les documents détaillant ces engagements. »
TECHNIP : UN FLEURON FRANÇAIS ABSORBÉ PUIS « RECRACHÉ » :
En 2017, la société française Technip et l’américain FMC Technologies fusionnent pour devenir TechnipFMC. En février 2021, cette entité se scinde en deux parties : TechnipFMC, qui conserve la partie Subsea ou exploitation des fonds marins (par exemple la pose de tuyaux et de conduites informatisées pour exploiter les gisements de pétrole et de gaz sous la mer), et Technip Energies, entreprise d’ingénierie et de technologies au service de la transition énergétique avec des positions de leader dans le gaz naturel liquéfié (GNL), l’hydrogène, la chimie verte et la capture du CO2.
UNE DÉMARCHE SANS SUCCÈS AUPRÈS DE BERCY :
Wilfried Weber, délégué syndical central CFE-CGC chez Technip Energies, a demandé le 13 juin dernier à Bercy de lui transmettre les engagements pris sur le maintien des domaines stratégiques en France par TechnipFMC lors de la fusion. « Je l’ai initiée quand le Premier ministre Jean Castex a parlé des grands fonds marins comme d’un objectif stratégique du plan France 2030, ce qui me paraissait contradictoire avec le fait de s’être séparé de la partie Subsea de Technip. Bercy n’ayant pas donné suite à ma requête, j’ai saisi la CADA le 7 septembre qui m’a dit que je pouvais avoir accès aux informations expurgées si je justifiais de ma qualité de représentant du personnel. Ce que j’ai fait le 6 décembre. »
TOURNÉS VERS L’AVENIR AVEC RECONSTRUIRE :
La CFE-CGC de Technip Energies étudie la possibilité de saisir le tribunal administratif comme l’a fait la section syndicale chez Nokia. Mais Wilfried Weber regarde vers l’avenir : « Avoir connaissance des engagements de l’époque n’est plus vital car Technip Energies est positionné sur un projet enthousiasmant et une action judiciaire pourrait nuire à l’image de l’entreprise. » Le militant préfère aujourd’hui travailler au sein du collectif Reconstruire qui regroupe tout un panel d’acteurs (syndicalistes, économistes, journalistes, lanceurs d’alerte, avocats, parlementaires) pour réfléchir à la protection des entreprises et des secteurs stratégiques français.
Gilles Lockhart