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Secret des affaires : la CFE-CGC à l’action dans les entreprises

Le secret des affaires est protégé par une loi. Mais il peut être contourné quand il s’agit de défendre l’emploi. Illustrations avec General Electric, Nokia et Technip, trois entreprises où les équipes CFE-CGC montent au créneau.

UNE LOI LIBERTICIDE :

Dès sa promulgation en juillet 2018, la loi sur le secret des affaires (transposition d’une directive européenne de 2016) a été épinglée par la CFE-CGC. Dans le magazine confédéral de septembre 2018, son secrétaire national Europe et International de l’époque, Christophe Lefèvre, fustigeait une loi présentant « une double menace pour les libertés » : elle complique la révélation de scandales de santé ou d’éthique publique, type Médiator ou Panama Papers, et fragilise le rôle des élus du personnel en apposant le sceau « secret des affaires » sur les informations qu’ils détiennent.

DES EXCEPTIONS PRÉVUES PAR LA LOI :

Dans sa Section 4, la loi indique les exceptions à l’application du secret. Quand il s’agit de la liberté de la presse notamment, ou quand un secret des affaires est obtenu « dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ». Encore faut-il que sa divulgation entre « dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions », qu’elle soit « nécessaire à cet exercice » et qu’elle ne dépasse pas le périmètre des salariés ou de leurs représentants.

LA PROTECTION DES SECTEURS STRATÉGIQUES FRANÇAIS :

En mai 2014, un décret a augmenté le contrôle de l’État français sur les investissements des groupes étrangers dans des secteurs jugés stratégiques. En clair, l’acquéreur ne remporte le morceau que s’il respecte les conditions fixées par Bercy. Problème : ces conditions ne sont pas rendues publiques. Les syndicalistes n’y ont pas accès et elles sont, de facto, invérifiables. Quant à les obtenir en les demandant à Bercy, y compris en cas d’avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), c’est un chemin de croix sans fin.

L’ACTION MODÈLE DE LA CFE-CGC CHEZ GENERAL ELECTRIC :

L’exemple de General Electric montre que la connaissance par les élus du personnel de secrets des affaires peut changer la donne sociale. En mettant la main – grâce à une personne ayant accès au dossier – sur le document contenant les engagements signés par l’État français et le groupe américain lors de la reprise d’Alstom en 2014, le délégué syndical CFE-CGC Philippe Petitcolin et son équipe ont pu contrecarrer le PSE de 2019 en disposant d’un formidable levier de négociation.

PRESSION MISE SUR L’ÉTAT POUR LA BONNE CAUSE :

« Le PSE de 2019 venait en contradiction directe avec l’accord sur le plan de la création d’emplois et de la localisation des centres de décision en France, explique Philippe Petitcolin. Nous avons utilisé le document que nous possédions en mettant l’État devant ses responsabilités, en l’attaquant au tribunal administratif. C’est suite à cette action que Bercy a changé de position et accepté de nous soutenir. Cela a conduit à ce que l’on négocie, la semaine qui précédait la fin du délai de consultation du plan social, une réduction de 792 à 485 suppressions d’emplois, un engagement de créer 200 emplois en 3 ans dans le cadre de la diversification, la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), un projet industriel, etc. »

LES DESSOUS DU RACHAT D’ALCATEL-LUCENT PAR NOKIA :

Dans le cas de Nokia, l’affaire porte sur les engagements signés par le géant finlandais auprès de l’État français, le 21 octobre 2015, pour pouvoir acheter Alcatel-Lucent et sa filiale Alcatel Submarine Networks. Après avoir épuisé les démarches, la CFE-CGC de Nokia France a obtenu du tribunal administratif de Paris, le 23 juin 2022, la communication des lettres d’engagement conclues entre Nokia et Bercy. Mais le caviardage du document pour des motifs de secret défense incombe au juge. Appliquant la logique de l’exception du secret des affaires concernant les représentants du personnel, celui-ci a masqué tout ce qui ne concerne pas l’emploi.

UN DOCUMENT NOKIA-BERCY PRESQUE TOTALEMENT EXPURGÉ :

« Outre le fait que nous n’avons reçu le document que le 7 octobre, plus d’un mois après le délai fixé par le tribunal, 90 % de son contenu sont biffés », regrette franchement Olivier Marcé, le délégué syndical central de la CFE-CGC Nokia France. Concrètement, il ne subsiste que quelques lignes faisant référence à l’emploi de manière non quantifiée. Par exemple, au chapitre 12, la phrase suivante : « L’investisseur maintiendra en France l’essentiel de la R&D spécifique aux activités sensibles pour les clients sensibles. »

D’AUTRES DOCUMENTS PLUS OCCULTÉS ? :

Le syndicaliste est d’autant plus surpris par ce flou qu’il a personnellement participé à Bercy à des réunions – la dernière en date avec Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée chargée de l’Industrie – dans lesquelles des engagements en nombre de salariés étaient mentionnés. « Un peu comme s’il y avait un autre document non officiel, non signé, comportant des précisions chiffrées. Comme si tout n’était pas dans les lettres d’engagement… »

LE JUGEMENT DE NOKIA PEUT-IL FAIRE JURISPRUDENCE ? :

Sur le fond, Olivier Marcé considère que Bercy ne pourra plus refuser de but en blanc de communiquer aux syndicats les engagements concernant l’emploi. D’ailleurs, LBBa, le cabinet d’avocats de la CFE-CGC Nokia, a publié sur LinkedIn une analyse du jugement du 7 octobre allant dans ce sens : « Lorsqu’une entreprise prend des engagements portant sur le maintien de l’emploi envers le gouvernement, ni le secret des affaires, ni le secret-défense et les impératifs de sûreté de l’État n’autorisent le gouvernement à refuser de communiquer aux représentants du personnel de l’entreprise concernée les documents détaillant ces engagements. »

TECHNIP : UN FLEURON FRANÇAIS ABSORBÉ PUIS « RECRACHÉ » :

En 2017, la société française Technip et l’américain FMC Technologies fusionnent pour devenir TechnipFMC. En février 2021, cette entité se scinde en deux parties : TechnipFMC, qui conserve la partie Subsea ou exploitation des fonds marins (par exemple la pose de tuyaux et de conduites informatisées pour exploiter les gisements de pétrole et de gaz sous la mer), et Technip Energies, entreprise d’ingénierie et de technologies au service de la transition énergétique avec des positions de leader dans le gaz naturel liquéfié (GNL), l’hydrogène, la chimie verte et la capture du CO2.

UNE DÉMARCHE SANS SUCCÈS AUPRÈS DE BERCY :

Wilfried Weber, délégué syndical central CFE-CGC chez Technip Energies, a demandé le 13 juin dernier à Bercy de lui transmettre les engagements pris sur le maintien des domaines stratégiques en France par TechnipFMC lors de la fusion. « Je l’ai initiée quand le Premier ministre Jean Castex a parlé des grands fonds marins comme d’un objectif stratégique du plan France 2030, ce qui me paraissait contradictoire avec le fait de s’être séparé de la partie Subsea de Technip. Bercy n’ayant pas donné suite à ma requête, j’ai saisi la CADA le 7 septembre qui m’a dit que je pouvais avoir accès aux informations expurgées si je justifiais de ma qualité de représentant du personnel. Ce que j’ai fait le 6 décembre. »

TOURNÉS VERS L’AVENIR AVEC RECONSTRUIRE :

La CFE-CGC de Technip Energies étudie la possibilité de saisir le tribunal administratif comme l’a fait la section syndicale chez Nokia. Mais Wilfried Weber regarde vers l’avenir : « Avoir connaissance des engagements de l’époque n’est plus vital car Technip Energies est positionné sur un projet enthousiasmant et une action judiciaire pourrait nuire à l’image de l’entreprise. » Le militant préfère aujourd’hui travailler au sein du collectif Reconstruire qui regroupe tout un panel d’acteurs (syndicalistes, économistes, journalistes, lanceurs d’alerte, avocats, parlementaires) pour réfléchir à la protection des entreprises et des secteurs stratégiques français.

Gilles Lockhart

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